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Bergeronnette printanière
Aeschne bleue
Aeschne bleue
Gomphe à tenailles
Grèbe jougris

 

La Mare
par Jean Henri Fabre

 
 

Hydrophile brun

D
élice de ma prime enfance, la mare est encore spectacle dont mes vieux ans ne peuvent se lasser. Quelle animation en ce monde verdoyant des Conferves! Par légions noires, sur la tiède vase des bords, le petit têtard du Crapaud se repose et frétille; entre deux eaux, le Triton à ventre orangé mollement navigue du large aviron de sa queue aplatie; parmi les joncs stationnent les flottilles des Phryganes, à demi sorties de leurs étuis, tantôt mignon fagot de bûchettes, tantôt tourelles de menus coquillages.

Aux lieux profonds plonge le Dytique, muni de ses réserves respiratoires : au bout des élytres, bulle d'air. Et sous la poitrine, lamelle gazeuse qui resplendit ainsi qu'une cuirasse d'argent; à la surface, vire et revire le ballet des Gyrins, perles miroitantes; à côté patine insubmersible l'attroupement des Hydromètres, qui glissent par brassées transversales semblables à celles du cordonnier en travail de couture.

Voici les Notonectes, qui nagent sur le dos avec deux rames, étalées en croix; les Nèpes aplaties, à tournure de scorpion; voici, sordidement vêtue de boue la larve de la plus grande de nos Libellules, si curieuse par sa façon d'avancer : elle s'emplit d'eau l'arrière-train, vaste entonnoir, l'expulse, et progresse d'autant par le recul de sa pièce hydraulique.

Le mollusque, gent paisible, abonde. Au fond, les Paladines ventrues discrètement soulèvent un peu leur opercule, entrouvrent le volet de leur habitation; à fleur d'eau, dans les clairières du jardin aquatique, hument l'air Physes, Limnées et Planorbes. Des Sangsues noires se contorsionnent sur leur proie, un tronçon de lombric; des milliers de vermisseaux rougeâtres, qui deviendront moustiques, vont tournoyant et se recourbent en manière d'élégants dauphins.

Oui, couvée par le soleil, une nappe stagnante, de quelques pas d'étendue, est un monde immense, inépuisable trésor d'observation pour l'homme studieux, émerveillement pour l'enfant qui, lassé de sa barque en papier, s'avise de regarder un peu ce qui se passe au sein de l'eau. Disons les souvenirs que m'a laissés la première mare, alors que, l'idée commençait à poindre dans ma cervelle de sept ans...

Fragment extrait de : Souvenirs entomologiques, septième série. 1879

Nèpe

Nèpe, oeuf


                     

Jean Henri FabreJean Henri Fabre (1823 - 1915) Entomologiste, naturaliste.
C'est dans ses Souvenirs entomologiques que j'ai trouvé ce fragment de texte sur la mare. Je ne connais pas encore la totalité des 10 volumes de ses souvenirs, mais ce que j'ai lu m'a fasciné, je me suis presque réconcilié avec les araignées. La vie des abeilles, des fourmis, des coléoptères, des papillons nocturnes, des sauterelles et des araignées qu'il observe, défile comme un roman d'aventures, comme des contes où certains mystères sont dévoilés mais d'autres le restent.

Si vous êtes rebuté par l'aspect un peu rasoir de certains ouvrages entomologiques, lisez quelques chapitres de Fabre pour commencer. C'est moi qui vous le dis.



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